L’ingénierie du sommeil : quand nos nuits réparent nos jours
Publié le 21/04/2025
Dormir pour guérir. L’idée semble tout droit sortie d’un rêve et pourtant, elle est au cœur des nouvelles avancées en neurosciences. Que ce soit pour améliorer la mémoire, surmonter des traumatismes ou même favoriser la récupération après un accident vasculaire cérébral (AVC), le sommeil n’est plus seulement un moment de repos. Grâce à l’ingénierie du sommeil, il devient un véritable terrain d’entraînement pour notre cerveau.
Le sommeil, cet architecte de notre mémoire
Depuis longtemps, les scientifiques soupçonnaient que nos nuits ne se contentaient pas d’effacer la fatigue accumulée. Aujourd’hui, les preuves s’accumulent : pendant que nous dormons, notre cerveau rejoue les événements marquants de la journée. C’est notamment dans l’hippocampe, une structure clé de notre mémoire, que ces souvenirs sont réactivés, renforcés et stockés à long terme (Marr, 1971).
Dans les années 1990, des expériences sur des rats ont montré que leur cerveau reproduisait, en accéléré, les trajets qu’ils avaient effectués dans un labyrinthe pendant la journée (Wilson & McNaughton, 1994). Plus tard, des études ont confirmé que ce phénomène se retrouvait chez l’être humain : après l’apprentissage d’un itinéraire dans une ville virtuelle, les zones cérébrales impliquées dans la navigation se réactivent pendant le sommeil profond (Rasch et al., 2007). Conclusion ? Ce que nous avons vécu dans la journée se grave dans notre mémoire pendant la nuit.
Quand le sommeil soigne l’esprit
Ce pouvoir du sommeil sur la mémoire ne concerne pas seulement les souvenirs positifs. Il pourrait aussi aider à réécrire ceux qui nous hantent. Sonia, une jeune femme souffrant de cauchemars récurrents, a pu en faire l’expérience. Malgré une thérapie classique visant à imaginer une fin heureuse à ses cauchemars, ses angoisses nocturnes persistaient (Schwartz et al., 2022).
Les chercheurs ont alors testé une méthode innovante sur elle et d’autres patients : associer son souvenir modifié à un son spécifique – ici, un accord de piano. Chaque soir, Sonia se concentrait sur une version apaisante de son rêve en écoutant cette mélodie. Puis, pendant son sommeil paradoxal, où les rêves sont les plus intenses, un dispositif diffusait discrètement cet accord musical. Résultat ? Progressivement, ses cauchemars ont laissé place à des rêves plus positifs. Une preuve que l’on peut influencer notre cerveau endormi pour en reprogrammer le contenu.
Le sommeil, un allié pour la rééducation
Mais l’ingénierie du sommeil ne s’arrête pas à la mémoire et aux émotions. Elle pourrait aussi accélérer la récupération après un AVC. Lorsqu’une personne doit réapprendre un mouvement perdu, comme lever un bras ou saisir un objet, son cerveau doit recréer des connexions neuronales (Horowitz et al., 2020).
Des chercheurs ont montré qu’il était possible d’aider ce processus en stimulant le cerveau pendant le sommeil. Grâce à des sons ou des stimulations électriques faibles, ils ont renforcé les circuits neuronaux impliqués dans l’apprentissage de ces gestes (Whitmore et al., 2022). En clair, ce que nous pratiquons pendant la journée peut être consolidé et renforcé durant la nuit, comme si notre cerveau poursuivait son entraînement pendant notre sommeil.
Vers une révolution nocturne ?
Face à ces découvertes, certains imaginent déjà des dispositifs capables d’optimiser nos nuits pour nous rendre plus performants, plus résistants aux traumatismes, voire plus heureux. Des applications existent déjà pour lutter contre les cauchemars en détectant les phases de sommeil agité et en diffusant des stimulations pour les atténuer (Xia et al., 2022).
Mais attention, préviennent les spécialistes. Jouer avec nos souvenirs n’est pas sans risque. Si l’on peut renforcer certaines informations, pourrait-on en effacer d’autres involontairement ? Modifier l’équilibre de notre sommeil pourrait-il altérer ses fonctions naturelles ? Pour l’instant, la prudence est de mise (Lewis, 2022).
Une chose est sûre : le sommeil est bien plus qu’une simple pause dans nos journées. C’est un moment où notre cerveau façonne nos souvenirs, répare nos émotions et renforce nos capacités. Et avec l’ingénierie du sommeil, nous commençons à entrevoir comment l’exploiter au mieux, sans pour autant en briser la magie.
Références
Horowitz, A. H., Haar, S., & Stickgold, R. (2020). Dormio: A targeted dream incubation device. Consciousness and Cognition, 85, 103013.
Lewis, P. (2022). The timing of memory reactivation during sleep is critical for successful learning. Nature Reviews Neuroscience, 23(4)
Marr, D. (1971). Simple memory: A theory for archicortex. Philosophical Transactions of the Royal Society of London. Series B, Biological Sciences, 262(841), 23-81.
Rasch, B., Büchel, C., Gais, S., & Born, J. (2007). Odor cues during slow-wave sleep prompt declarative memory consolidation. Science, 315(5817), 1426-1429.
Schwartz, S., Sterpenich, V., & Tononi, G. (2022). Enhancing imagery rehearsal therapy for nightmares with targeted memory reactivation. Current Biology, 32(18), 4031-4043.
Whitmore, N. W., Paller, K. A., & Malkani, R. G. (2022). Improving memory via automated targeted memory reactivation during sleep. Journal of Sleep Research, 31(6), e13628.
Wilson, M. A., & McNaughton, B. L. (1994). Reactivation of hippocampal ensemble memories during sleep. Science, 265(5172), 676-679.
Xia, T., Cheng, L., Hu, X., & Liu, H. (2022). Updating memories of unwanted emotions during human sleep. Current Biology, 32(16), 3216-3227.